Au Sénégal, une très lourde pression sur les élèves modèles

29 - Janvier - 2021

Reportage La disparition volontaire, début janvier, de Diary Sow, brillante élève sénégalaise au lycée Louis-Le-Grand, à Paris, a mis en lumière la situation fragile des boursiers d’excellence sénégalais inscrits dans des établissements de prestige en France. Une promesse de réussite qui laisse un goût amer pour certains.
Juin 2020, à Dakar, les étudiants passent leurs examens. Ils pourront ensuite demander une bourse pour partir étudier 

Ousmane se souvient du choc ressenti dès ses débuts en classe préparatoire de physique, chimie et sciences de l’ingénieur à Auxerre. « Je n’imaginais pas que la prépa était aussi difficile. Je pensais ne pas avoir le niveau, moi qui n’avais jamais eu de mauvaises notes avant. La quantité de travail était énorme. Tu n’avais plus de vie », raconte l’ancien élève du lycée d’excellence catholique Jean-Paul II de Kaolack (190 km au sud de Dakar), détenteur de la bourse d’excellence en 2015.

Ousmane a mal vécu ces deux ans, durant lesquels le stress était permanent. « J’étais déprimé, j’ai eu des problèmes d’insomnie. Je me demandais à quoi cela servait de travailler car il n’y avait pas de résultat », rapporte-t-il. « Soulagé » quand il a terminé sa prépa, il a aussi été marqué psychologiquement, tombant dans la dépression quelques mois plus tard. Désormais âgé de 24 ans, en master 1 dans une école d’ingénieur à Paris, il fait le lien entre l’histoire de Diary Sow et la sienne : « J’ai vécu la même pression. Moi aussi j’ai eu envie de partir, de m’échapper parfois. »

Santé mentale fragilisée

Diary Sow, brillante élève sénégalaise poursuivant ses études au Lycée Louis-Le-Grand à Paris après l’obtention d’une bourse d’excellence, a disparu volontairement, début janvier. En 2020, seuls une centaine de bacheliers avec mention Très bien ou Bien, pré-inscrits dans une classe préparatoire en France ou dans un établissement du Top 100 de Shanghaï, ont bénéficié de cette bourse de 430 000 francs CFA (650 €) mensuels, pour une période de cinq ans. Une fois leurs études terminées, ils s’engagent à revenir « servir le Sénégal ».

Or, le parcours est rude pour des jeunes brillants, mais seuls dans un nouveau pays, soumis au surmenage, et peu informés sur ce qui les attend. « Je bosse très dur pour tenir le fil. Cela demande beaucoup d’investissement et de sacrifices », atteste Babacar *, 19 ans, arrivé de Dakar en octobre pour intégrer une classe prépa Mathématiques-Physique-Science de l’Ingénieur (MPSI) en Normandie.

Manque d’accompagnement

Moyen d’ascension sociale, la réussite scolaire devient un « fardeau » pour ces adolescents devenus des modèles à suivre. « L’élève est très suivi, on lui répète qu’il doit exceller. Il subit aussi une grande pression sociale et endosse les attentes des autres dans le cadre familial, communautaire, voire national », analyse le docteur Pape Ngore Sarr Sadio, socio-anthropologue de l’université du Siné-Saloum à Kaolack.

Cette pression pèse surtout quand l’accompagnement manque. « Je ne me sentais soutenu ni par les professeurs, ni par le Service des gestions des étudiants sénégalais à l’étranger (SGEE) qui n’avait pas de temps pour nous écouter », confesse Ousmane. « C’est une réalité, il n’y a pas d’accompagnement social ou psychologique dans les lycées ou collèges », déplore le docteur Sadio.

Angoisse de l’échec

« Je n’en parlais pas à ma famille car je ne voulais pas les décevoir », témoigne encore l’étudiant. Pas le droit à l’échec pour les boursiers : aucun redoublement la première année n’est admis sous peine de voir sa bourse d’excellence se transformer en bourse pédagogique de 200 000 FCFA (300 €), rendant précaire la poursuite des études pour les familles démunies.

Au Sénégal, les femmes au cœur de la recherche

« Beaucoup de nos élèves ne souhaitent pas obtenir la bourse d’excellence. Elles craignent de ne pas être à la hauteur et de la perdre », confirme Ramatoulaye Sarr Diagne, directrice de l’école d’excellence Mariama Ba, un collège-lycée sur l’île de Gorée (Dakar) qui forme les élites féminines sénégalaises.

Nombreux sont donc les étudiants à arrêter, parfois dès la première année, pour poursuivre à l’université. Marie-Louise Ndiaye, par « besoin de respirer, de faire ce qui me plaisait réellement », s’est inscrite en licence d’histoire après sa 2e année de classe préparatoire, perdant au passage sa bourse d’excellence pour une bourse pédagogique. « Je n’avais plus la force de tenter les concours des Instituts d’études politiques (IEP), je voulais juste terminer la prépa », avoue-t-elle. Des exemples qui soulignent, selon le docteur Sadio que « beaucoup d’autres Diary Sow existent, mais restent inconnus. »

Diary Sow, de l’excellence au besoin de pause
2018 et 2019. Diary Sow est deux fois gagnante du concours général au Sénégal.

2019. Après son bac, elle obtient une bourse d’excellence pour intégrer la classe préparatoire de Louis-Le-Grand, en physique, chimie et ingénierie.

4 janvier 2021. Elle ne se présente pas à Louis-Le-Grand après les vacances de fin d’année.

7 janvier. Sa disparition est signalée, créant une vive émotion en France et au Sénégal.

21 janvier. Dans des échanges publiés par un proche, elle donne des nouvelles et explique qu’elle fait une « une petite pause pour retrouver (ses) esprits ».

25 janvier. Les autorités diplomatiques du Sénégal en France annoncent qu’elle se trouve désormais en compagnie de son parrain, le ministre sénégalais Serigne Mbaye Thiam.

LACROIX

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